Il est six heures du matin. Nous sommes le samedi 22 septembre 2018. Le vent souffle sur la fenêtre de notre chambre. Je me réveille au terme d’une nuit agitée. Cathy pianote déjà sur son portable. Nous nous regardons sans un mot. Je me lève comme je l’ai eu fais des années pour aller au travail. J’avance d’un pas ralenti, sans marque, sans repère tel un animal prisonnier voulant s’échapper. Je ne la veux pas cette journée. Je voudrais faire un demi tour, un arrêt, me téléporter le 8 juin 2017 et changer le cours de l’histoire, de notre histoire. Mais cela est impossible, alors je me prépare un café lorsque les premiers membres de la famille sonnent à notre porte.

Les visages sont fermés, fatigués par les longs voyages de certains. Personne ne veut vivre cette journée. On se parle, on échange des horaires,  et on se demande qui va suivre l’autre. Je décidé de m’isoler et de boire mon café dehors et seul mais le froid du matin et le vent me font rebrousser chemin. Je relis et corrige quelques phrases de mon texte du jour. Je me prépare à enfiler un costume de circonstance.

Nous sommes prêts. En silence, nous prenons nos voitures pour nous rendre à l’hôpital. Encore une fois. Le soleil se lève accompagné d’un épais ciel voilé. Dans la voiture, pas de musique, pas de blague, peu de mots.

Nous arrivons à la chambre funéraire de l’hôpital d’Avignon où repose depuis quelques jours Léonie. Le reste de la famille et les amis sont déjà présents. Nous apprenons que l’horaire d’ouverture annoncé par les pompes funèbres n’est pas correct. Nous attendons quelques minutes supplémentaires sur le parking. Les yeux de certains sont déjà rouges, les larmes coulent lorsqu’il s’agit de se dire bonjour.

Les portes de la chambre s’ouvrent, nous nous engouffrons alors dans le hall. La famille et les amis vont rendre un dernier hommage à notre petite Léonie. Une salle aux lumières artificielles, au rideaux clos et quelques chaises installées pour aider les plus fatigués à reprendre leur souffle. Le silence règne. Seul le bruit des talons raisonnent. Puis la pression est trop forte et les sanglots remplissent l’air de la pièce.

Nous avons demandé un moment seuls avec notre fille. Nous la regardons et lui parlons une dernière fois avant la mise en bière. Son corps est couvert de pétales de roses rouges et blanches à notre demande. Quelques petites affaires l’accompagnent à tout jamais avec elle. Drapée de blanc, nous lui disons au revoir. Je la regarde avec insistance et je me dis intérieurement : ” Allez Léonie, réveille toi, ouvre les yeux!”  Mais en vain, ce moment ne viendra pas, ne viendra plus.

Il est 9h15. Un convoi de voitures suit ce Mercedes gris. Derrière son hublot arrière, nous voyons les gerbes de fleurs accompagnant le corps de Léonie. Durant des années, j’ai vu Léonie dans mon rétroviseur me sourire, ou me faire un pouce levé pour me signifier que tout allait bien. Aujourd’hui, elle est devant moi, allongée dans une petite boite blanche et je ne l’a verrais plus jamais. Le convoi roule au pas et s’allonge ou se ressert au gré des feux rouges lorsque nous traversons la ville.

Nous arrivons à Chateauneuf de Gadagne, tout près de sa nouvelle demeure. Les vignes et les pins brillent au soleil, comme nos yeux. La colonne de voitures stoppe à l’entrée de la route que nous utiliserons pour notre marche funéraire. Nous descendons de nos véhicules. Puis nous fendons une foule présente pour un dernier hommage.

Léonie aimait tellement les chevaux. Nous avons demandé à ouvrir la marche avec des cavaliers vêtus de beaux costumes accompagnés d’un cheval non monté. Juste derrière, roule la voiture transportant le corps. La foule nous suit.

Léonie aimait la musique. Les professeurs du conservatoire à notre demande avaient organisé un hommage en musique durant ses longs mètres que nous avons parcouru derrière notre fille défunte. Trompette et trombone raisonnent dans la plaine de Chateauneuf de Gadagne.

Léonie aimait le Mexique. Nous entrons sur le petit parking du cimetière. Les cuivres cessent leurs mélodies. Quelques notes alors traversent le cimetière, Jealous de Labrinth, magnifiquement interprété par David, un Mexicain vivant en France. Le véhicule Mercedes entre dans l’allée du cimetière et s’arrête. 4 hommes tirent le cercueil hors du véhicule et s’avancent dans l’allée pour atteindre le caveau funéraire. La foule se place en cercle autour de notre fille.

Léonie aimait la vie. Des chansons et textes vont jalonner la cérémonie pour témoigner de la force et du courage de Léonie. Un ami, une maîtresse et moi même prendrons la parole pour lui dire au revoir. A la lecture de mon hommage, ma voix tremble mais ne lâche pas. Je m’étais répéter les jours passés qu’il est impossible de flancher devant Léonie après nous avoir montré un tel courage face à la maladie. C’est un signe. Elle guidera nos vies.

Les enfants sont invités à se regrouper au centre pour récupérer des ballons blancs, roses et rouges. Quelques minutes plus tard, les têtes se tournent vers le ciel pour cet envol multicolore. Le vent souffle fort et si certains ballons s’échappent dans le ciel, d’autres finiront leurs courses dans les branches des pins.

Puis c’est au tour de cinquante papillons aux couleurs vives de trouver leur envol autour du cercueil de Léonie. Les musiques choisies étaient celles de Mamie Rita qui venait accompagner Léonie à Monterrey les dimanches après midi. L’émotion ne se quantifie plus dans de pareils moments. On ne reconnait plus les visages qui vous accompagnent, on ne voit plus alors que la lumière du jour qui vous guide et vous empêche de tomber. Je me ressaisi et tente de consoler Agathe en sanglots. Tous les cœurs présents dans la ronde sont déchirés de tristesse et de douleur.

Nous nous approchons du caveau ou Léonie est descendue et repose dorénavant. Une dernière pensée et nous jetterons une rose blanche qui accompagnera son âme.

Nous sommes invités alors, les parents et sœurs, à quitter le cimetière. En remontant l’allée je regarde les dates des défunts déjà présents. Je n’arrive pas à trouver d’enfant. Je me dis bêtement que Léonie ne va même pas avoir de copine ou de copains. Dehors la Coco Fanfare de Montpellier est en place. C’est eux qui ont marqué le coup d’envoi de notre association en réalisant notre premier projet pour soutenir Léonie. Nous remontons donc la route en musique jusqu’au château de l’Arbousière où nous attend son gérant pour un verre de l’amitié.

Les visages se succèdent pour témoigner de leur soutien et de leur tristesse. Collègues de travail, amis, copains, familles garderont tous cette tragédie dans un coin de leur tête. Léonie avait 10 ans. Elle est partie d’un cancer du cerveau. Une maladie agressive inconnue du public et ignorée des pouvoirs publics.

Nous savions Catherine et moi que le cancer ne fait pas de cadeau. Nous avons depuis le début axé notre lutte et notre stratégie à protéger l’ensemble de notre famille. Car lorsque le cancer de votre enfant s’invite chez vous, c’est la table qui se renverse, les murs qui se brisent et le toit qui s’envole. Comme tous parents, nous avons essayé de protéger nos enfants. C’est de notre responsabilité. De longues heures d’angoisses, de peurs, de voyages, de recherches, de rencontres ont marqué cette lutte.

Léonie laisse derrière elle, ses amis et sa famille mais aussi une association. Nous avons beaucoup appris sur la maladie, ses ravages et les blocages pour aider la recherche. Il est prématuré aujourd’hui de décider si nous allons rebondir et entrer dans la lutte des papas et mamans endeuillés de notre pays. Nous laisserons nos cœurs parler et comme toujours nous laisserons la force des rencontres et des propositions nous accompagner dans notre choix.

Nous ne savons pas encore comment nous allons apprendre à marcher avec 2 bras et une jambe. L’avion s’est écrasé et nous sommes trois survivants. Hagards, choqués, nous allons encore déambuler longtemps entre les souvenirs et les petits objets qu’une vie de 10 ans laisse derrière nous. Seule certitude, je ne sais pas ce que l’avenir nous réservera.  Dans un même esprit paternel et maternel, nous allons tout faire pour ne pas nous perdre et penser que vivre n’est pas seulement se souvenir. Mais tout cela n’est qu’un plan de vol dans un nouvel avion tout neuf à trois fauteuils!

Alors souhaitons-nous bon voyage!

Merci à M.Deydier pompes funèbres pour l’organisation, à Sylvie Pignon et les écuries du Réal, A Yvelise Girard au trombone et William Sayd à la trompette, à Isabelle Fabre pour les papillons, Guillaume et Solène André, Christophe et Nathalie pour les ballons, Frederic Martin et Celine Chemin pour leurs magnifiques textes, à David Rey et Monic Belaidi pour le chant et la musique, la Coco Fanfare pour nous avoir remonté le moral, Bob pour la réception, A nos amours fleuriste, M.Gouven pour ses petits plats, à Christophe Aubry et Nathalie Paoli pour leurs clichés, à Karima pour le costume, à Margaux, Julie, Mohammed, et Pascal pour leur soutien de tous les instants  et un grand merci à vous toutes et tous pour nous avoir accompagné durant ces heures difficiles.

Vive la vie. Tous unis en souvenir de Léonie!

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Au pays de Léonie

Des parents en lutte contre les cancers pédiatriques.